Le monde de la culture est au point mort. Spectacles annulés, professionnels sur le carreau, mental en berne et créations en suspens. Quand certains compensent en exprimant leur créativité sur les réseaux sociaux, d’autres patinent, vidés d’inspiration. A quoi ressemble le quotidien confiné des artistes ? Comment continuer à travailler malgré le contexte ? Des comédiens, chorégraphes, producteurs travaillant avec Compote de Prod nous ont répondu.
Pendant le confinement, on joue quand même ! Découvrez les vidéos des artistes Compote de Prod sur notre page Facebook.
Anthony Fabien, comédien : «J’ai créé mon émission Youtube»
Anthony interprète le Chapelier Fou dans Alice, la comédie musicale.
«On est déjà en tant qu’artistes habitués à l’inconnu et l’incertitude, mais en ce moment c’est encore plus dur et violent. Tout est en suspens. On sait que ça recommencera, mais on ne sait pas quand. Après trois jours de down très fort, je me suis dit que j’avais deux choix, sombrer, ou rebondir. Je me suis dis que c’était le moment idéal de laisser parler mes envies créatives. D’où la création de l’émission « Youki Youki ». C’est un rendez-vous quotidien, quelque chose qui revient et qui rassure, quelque chose de léger où les copains du musical sont mis à l’honneur sans se prendre la tête. Et puis… ça me fait rire de faire ça !
Depuis quelques jours, je me prépare aussi pour le futur, en démarchant les agences de pub notamment.Je reste dans une dynamique de projection pour le futur en entraînant ma voix, comme si on reprenait la scène demain. Je pense qu’il faut continuer à y croire, garder confiance, maintenir le contact avec les prods et collègues.
Pour les amis intermittents du spectacle, malgré tout ce qui peut tourner sur les réseaux, la situation est très compliquée parce que soudaine, inattendue et que sa gestion est ardue pour toutes les administrations. Mais ça va aller, c’est évident. Dans quelques mois ce ne sera plus qu’un mauvais souvenir dont on parlera en souriant et en trinquant !»
Morgane L’Hostis Parisot, danseuse et chorégraphe : «Je mange des infos du monde qui m’entoure»
Morgane interprète Alice dans Alice, la comédie musicale. Elle est aussi la chorégraphe de la nouvelle création Le Monde de Peter Pan.
«Mon travail chorégraphique est simplement confiné, avec mauvais jeu de mot, à l’état de concept, dans ma tête ou dans mon propre corps. Reste à le transmettre pour le voir se matérialiser dans le corps des autres. Cette transmission est compliquée en communication virtuelle. Il me semble que rien ne vaut un contact réel avec les interprètes.
Les réseaux sociaux sont envahis d’idées, de projets en tout genre concernant ce confinement ou pas. Il y a quelque chose de magnifique dans ce mouvement, mais il m’est difficile d’y trouver une place pour exprimer quoi que ce soit. Je crois ne pas être la seule à sentir cette espèce de pression à la créativité qui peut avoir l’effet inverse et réduire un artiste à une page blanche. Mais je suis moins inquiète pour ma créativité que pour les répercussions sur notre public et les moyens pour continuer à créer et produire des spectacles. J’essaie de prendre ce temps pour me trouver artistiquement. Je mange des infos du monde qui m’entoure : vidéos de danseurs et leurs performances, interview de chorégraphes que j’admire, ballets, spectacles, musiques, concerts, etc.
Je pense que ce qui est et sera toujours élémentaire pour un danseur et en réalité pour n’importe qui, c’est l’entretien du corps. Mon moral est un véritable trou noir à mesure que je suis inactive et la rigueur et la curiosité m’aident à ne pas sombrer. Tant qu’on est en mouvement, même dans le lâcher prise, on fait circuler quelque chose qui alimente le corps, et l’esprit. Donc je le conseille au risque de paraître un peu perchée : si vous êtes perdus, ou si vous ne l’êtes pas, déconnectez un peu et connectez-vous à vous-même.»
Julien Iscache, producteur : «Nous allons lancer une nouvelle offre de location de notre matériel»
Julien est producteur et associé chez Compote de Prod.
«Les conséquences sur mon travail de producteur sont plus liées à la crise du COVID-19 qu’au confinement en tant que tel. Le problème principal est notre incapacité collective à nous projeter dans un an sur la reprise d’une activité normale dans le secteur du spectacle vivant.
À court terme, nous sommes quasiment à l’arrêt sur notre nouvelle création Le Monde de Peter Pan et sur notre production exécutive Noé, la force de vivre. Nous sommes dans l’impossibilité de travailler sur les décors, les costumes et de répéter les spectacles. Heureusement, nous avions prévu de la marge dans le planning de ces créations. Nous avons également dû reporter plusieurs dates de tournées qui étaient prévues au printemps.
Cependant, nous ne sommes pas face à une pause imposée de deux mois mais bien d’une durée indéterminée. Afin de relever ce nouveau défi, nous avons donc décidé plusieurs choses : la mise au chômage partiel d’une partie de nos salariés et la reprise de sujets de fond que nous n’avons pas le temps de traiter lorsque nous sommes en activité normale.
C’est finalement aussi une opportunité d’avoir le temps de prendre le temps, de réfléchir à notre modèle d’entreprise et de développement. Nous allons par exemple prochainement lancer une nouvelle offre de location de notre matériel car c’est une force de notre production : posséder et maîtriser le fonctionnement d’un parc de matériel son et lumière.
Si j’ai un conseil à donner aux compagnies et aux producteurs, c’est de consolider au maximum vos forces et de les réserver pour le moment où nous aurons le droit de créer à nouveau. À ce moment-là, il faudra s’unir pour réussir à créer.»
Julien Goetz, compositeur : «J’ai mis mon activité numérico-virtuello-sociale en veille»
Julien est le compositeur des musiques d’Alice, la comédie musicale, La Cigale sans la Fourmi et Le Monde de Peter Pan.
«Je vis le confinement comme une situation à double tranchant. Dans mon cas, pratiquant habituellement mon métier de tous les jours en semaine, c’est l’occasion de prendre davantage le temps de creuser plus profond des idées de composition. Cela est bénéfique pour la qualité des musiques, je le constate déjà. En revanche, je le vis également comme un frein à l’inspiration. Être enfermé entre quatre murs n’est pas propice à de nouvelles idées. Ne pas pouvoir me déplacer pour peaufiner les morceaux avec Benjamin Landrot est encore un facteur aggravant car notre osmose, en présentiel, est souvent très productive.
Il faut donc que je pallie à cette restriction d’air frais. De façon très concrète ça veut dire 1h30 quotidienne de renforcement musculaire en intérieur pour me vider l’esprit et 1h30 de sortie hebdomadaire pour faire le plein de vitamine D.
Chez Compote de Prod, nous continuons d’appliquer une gestion de projet classique au rythme de réunions téléphoniques et communications aux équipes des avancements. Avec ces quelques ingrédients, nous gardons le cap pour notre projet prévu pour fin 2020.
Mon conseil aux créateurs de spectacles confinés : faire une pause smartphone. En cette période de sur-sollicitation sur les réseaux sociaux, les sonneries incessantes du smartphone ont remplacé les klaxons dans Paris. J’ai personnellement opté pour la tranquillité forcée en mettant mon activité numérico-virtuello-sociale en veille afin de me consacrer aux choses essentielles, essentielles pour la musique mais surtout essentielles tout court. Ça fait un bien fou !»
Christophe Auzolles, scénographe : «Arrêtez les maquettes en allumettes !»
Christophe est le scénographe de la nouvelle création Le Monde de Peter Pan.
«Je suis scénographe mais pas que, je suis comédien dans ma propre compagnie dethéâtre de rue, L’Escadrille et musicien dans un autre projet. Cette crise ne nous a pas impactée seulement au moment du confinement, mais bien avant et elle va le faire bien après. La première conséquence est l’arrêt brutal de tous les chantiers, les uns pour manque de personnel ou de lieu, d’autres pour manque de matériel et de fournitures.
Sur Peter Pan, j’ai travaillé jusqu’à la dernière minute, soit parce que j’avais du mal à décrocher soit parce que je voulais partir l’esprit tranquille. Ça a tellement bien marché que je suis parti tranquille mais…J’ai laissé un peu de moi-même quand j’ai quitté mon atelier avec plein de réalisations en suspens. Merci à l’équipe de Compote de Prod qui a synthétisé toutes les données techniques et a assuré un suivi loin de nos “bébés” respectifs.
Ma principale difficulté est que je ne peux plus travailler, physiquement. Alors j’ai retravaillé les projets pour les améliorer de manière informelle dans un premier temps.
Ensuite j’ai fait des recherches sur des matériaux ou des systèmes de machinerie sur internet, ou en discutant avec mes collaborateurs ou amis pour être au taquet au moment de la reprise.
Cette parenthèse forcée m’a aussi permis de cultiver les autres arts qui me sont chères, le dessin, la musique, l’escrime, la bande-dessinée.
Mon conseil aux scénographes confinés ? Arrêtez les maquettes en allumettes, on est bientôt en pénurie de boîtes ! Et pour finir moins dans la dérision, il va falloir regarder autour de nous avec un peu plus de solidarité car pour notre métier, c’est après que les difficultés vont commencer.»
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