« Veut-on vraiment de la décentralisation ? » Dans un article publié par la revue Nectart en 2022, l’universitaire Philippe Teillet, maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Grenoble, s’interrogeait sur les limites de la décentralisation culturelle.
Certaines sautent aux yeux : Sur 6 théâtres nationaux, 5 sont à Paris. Sur 37 Centres Dramatiques Nationaux (CDN), 8 sont en région Ile-de-France La région Occitanie, qui compte moitié moins d’habitants, compte 4 fois moins de CDN.
Les inégalités demeurent entre Paris et le reste de la France. Dans les « territoires » eux-mêmes, les disparités sont grandes, notamment entre villes et campagnes. Si 72% des lieux de spectacle vivant sont établis en zone urbaine, moins d’un sur 5 est situé en zone rurale.
167 habitants et un théâtre
Le Théâtre de l’Enchanteur est un de ceux-là. Dans une ancienne forge posée au milieu des champs, cette salle est installée à Amathay-Vésigneux, commune de 167 habitants. Nous sommes dans le Doubs, à 40 km de Besançon. C’est ici, bien loin de Paris, que Pauline Pobelle, Yann et Loïc Sebile ont choisi de développer le théâtre musical.
En 2014, les trois ami.es ont créé la compagnie Allée des Cerisiers avec la ferme intention de faire vivre la Franche-Comté.
« On voit que les gens sont très sensibles à la comédie musicale, commente Yann Sebile. Les inscriptions sont de plus en plus nombreuses, les gens se déplacent pour voir nos productions, les écoles nous sollicitent pour que nous intervenions auprès d’elles. Dans l’Est de la France, nous sommes les seuls à défendre la comédie musicale sous ces différentes formes. Lorsqu’une structure franc-comtoise souhaite présenter, aborder ou défendre un projet en lien avec la comédie musicale, elle fait appel à nous. »
Dans son école de comédie musicale, la compagnie Allée des Cerisiers forme cette année une centaine d’élèves. En plus d’interventions en milieu scolaire et de divers événements, Pauline, Yann et Loïc ont acquis en 2018 une ancienne forge pour en faire le Théâtre de l’Enchanteur.
La distance avec Paris « pousse à la création »
Leur aventure extra-parisienne est un succès. « Cette distance nous a poussés à faire grandir davantage notre compagnie, estime Yanne Sebile, et à développer nous-mêmes ce que nous souhaitons voir sur scène. Cela pousse à la création. »
Après avoir monté leur version de La Petite Boutique des Horreurs, les artistes ont mis sur pied une « très libre adaptation musicale » de La Guerre des Boutons, une co-production Compote de Prod. Si l’on connaît souvent le film, l’œuvre est au départ un livre paru en 1912, écrit par Louis Pergaud, auteur franc-comtois. Et ce n’est pas un hasard.
Amoureux de la comédie musicale anglo-saxonne autant que « très chauvins », Pauline Pobelle, Loïc et Yann Sebile ont décidé de regrouper tout ce qu’ils aiment dans cette nouvelle pièce. Sans complexe.
Percer à la capitale relève parfois d’un combat dans la jungle. Comme le prouve le trio, s’établir en zone rurale peut au contraire regorger d’opportunités. Les théâtres publics provinciaux lancent régulièrement des appels à projets (listés ici) pour satisfaire à leur mission de service public. Les collectivités locales recherchent des structures capables d’animer la politique culturelle régionale. Le public, lui, est souvent demandeur d’événements qui se font rares.
Les festivals nuancent l’urbanité du spectacle
Sans s’installer pour de bon en Province, les troupes ont tout intérêt à sortir leur nez de Paris pour jouer, notamment en festival. Si le spectacle vivant est « synonyme d’urbanité », pointait le Ministère de la Culture dans une étude post-Covid, « la cartographie des festivals de spectacle vivant permet toutefois de nuancer cette image ». Le premier d’entre eux est le Festival Off d’Avignon, dans le Vaucluse. Mais d’autres rendez-vous marquants ont lieu en région, parfois reculée, comme le Festival d’Aurillac, dans le Massif Central, dédié au théâtre de rue ou le Festival du Grand Bornand, en Haute-Savoie, spécialisé dans le théâtre jeune public.
Pour la comédie musicale, c’est en Vendée qu’un festival s’est établi. Depuis 1989, le festival de Fromentine, faubourg de la commune de La Barre-de-Monts, fait vibrer la ville chaque été pendant six semaines de théâtre, de chant et de danse.
Tout n’est pas perdu pour la décentralisation culturelle. Initiée dans les années 1960, le mouvement continue de se construire. Dans le budget de la culture 2023, l’accent est mis sur les territoires, dans les mots et les chiffres. Comme les deux années précédentes, les crédits déconcentrés, transitant par les directions régionales des affaires culturelles (Drac), augmentent pour atteindre 1,02 milliards, contre 962 millions en 2022. La volonté existe donc, sur le papier du moins.
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Bonjour ! Pour le festival de Fromentine, c’est 6 semaines de festival, chaque été !!!